Les humanités attaquées

Publié le 5 avril 2025 à 14:28

Dans un contexte académique où les sciences humaines oscillent entre quête de vérité et militantisme idéologique, Jean Szlamowicz, linguiste et traducteur, et Pierre-André Taguieff philosophe, historien des idées et auteur d’une cinquantaine d’ouvrages, font paraître le livre qu’ils ont dirigé, Les humanités attaquées. Discours militants et sciences de la culture (PUF). Ils ne se contentent pas de dénoncer les dérives du wokisme ou du constructivisme à outrance : ils interrogent aussi les fondements mêmes de l'objectivité scientifique face aux pressions sociales et politiques.

Extrait de l'interview de Pierre-André Taguieff dans l'hebdomadaire Marianne du 26 novembre 2024.

 

"Pierre-André Taguieff : Les mots « woke » et « wokisme » désignent, avec désormais une intention critique (du moins chez les anti-wokes), les appels à la vigilance et les luttes militantes de la nouvelle extrême gauche intellectuelle, installée dans nombre d’établissements d’enseignement supérieur et de recherche, contre tous les systèmes d’oppression ou de discrimination, le plus souvent imaginaires, appelés « patriarcat » ou « hétéro-patriarcat », « racisme systémique », « discrimination systémique », « privilège blanc », « néocolonialisme », « islamophobie », etc.

Pour comprendre l’attractivité de cette offre idéologique, il convient d’avoir à l’esprit les six axiomes ou principes normatifs du néoprogressisme devenus les dogmes du wokisme : 1) tout ce qui semble réel est artificiel (fabriqué, construit, etc.) ; 2) tout ce qui est social et humain est malléable, et ce, sans limites ; 3) tout est possible ; 4) tout doit être indéfiniment détruit et reconstruit ; 5) tout est permis qui va dans le sens de la transformation perpétuelle, d’où la dénonciation de toutes les formes de « transphobie » ; 6) ceux qui ne sont pas d’accord avec cette vision exaltante sont des ennemis avec lesquels il n’est pas question de discuter.

Pour les universitaires et les chercheurs néoprogressistes, le désir de toute-puissance déconstructionniste et constructiviste est légitime, ainsi que la volonté de tout contrôler et de tout maîtriser, pour transformer sans fin le monde. Cette transformation perpétuelle définit pour eux le progrès. Le culte de la volonté transformatrice est au cœur de la nouvelle orthodoxie adoptée par une grande partie des élites politico-culturelles en Occident. Pour ces nouveaux croyants, la seule et véritable liberté est la liberté de tout changer, de tout transformer, sans limites, sans fin. Leur mot d’ordre, qui est aussi leur mot de passe, est le préfixe « trans »."

 

Quelques citations

"A cause du succès de la science, il existe une sorte de pseudo-science. Les sciences sociales sont un exemple de sciences qui n'en sont pas. On suit la procédure, on rassemble des données, etc., etc., mais il n'y a pas de lois, pas de découverte concrète. Ca ne va nulle part - pour l'instant. Peut-être un jour, mais ça n'est pas encore très développé. Au niveau le plus trivial, ce qui se passe, c'est qu'on se retrouve avec des experts sur tous les sujets, des experts qui ressemblent à des scientifiques. Ce ne sont pas des scientifiques. Ils se mettent devant leur machine à écrire et ils trouvent un truc. Il y a quantité de mythes et de pseudo-sciences."

Richard FREYNMAN, BBC Interview, "Horizon", 1981.

 

"La valeur de la science n'est pas dans ses résultats, lesquels peuvent faire le jeu du pire immoralisme, mais dans sa méthode, précisément parce qu'elle enseigne l'exercice de la raison au mépris de tout intérêt pratique."

Pascal ENGEL, Les lois de l'esprit, Paris : Editions Ithaque, 2012, pages 136-137

 

"Il ne faut pas que l'impulsion philosophique surgisse des philosophies mais des choses et des problèmes."

Edmund HUSSERL, La Philosophie comme science rigoureuse, Paris : Editions des Presses Universitaires de France, 1955, page 124

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